Réforme des institutions : le débat aura-t-il vraiment lieu ?
Le jeudi 23 août 2007 dans Les tribunes - Lien permanent
La présidentialisation à marche forcée
Dans ce contexte, le Président de la République a installé une commission pour la réforme des institutions. Présidée par Edouard Balladur, elle va travailler pendant trois mois afin de proposer, au terme de ces travaux, des pistes de réformes.
Réformes ou pas, il est tentant d’observer et de commenter les changements instillés dans la pratique institutionnelle par le nouveau président de la République a priori en rupture de celle de ses prédécesseurs. A priori, car si de nombreux signes vont dans le sens d’une présidentialisation du régime, comme on le sait une hirondelle n’annonce pas nécessairement le printemps. Aussi est-il difficile de suivre certains commentateurs qui concluent trop rapidement à notre sens, seulement quelques mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, à cette présidentialisation. Il suffirait que l’état de grâce s’achève - il cessera bien un jour - et qu’une crise sociale survienne, et on voit mal comment le Président de la République pourrait continuer de monter seul en ligne sans se servir de son Premier ministre comme bouclier, comme c’est l’usage traditionnel sous la Ve République. Le temps institutionnel ne se mesure pas en semaines et en mois, mais bien en années et en décennies. Il sera toujours temps de revenir sur cette nouvelle lecture des institutions si elle devait perdurer.
En janvier 2006, Nicolas Sarkozy mettait en avant son « attachement aux institutions de la Ve République » et donc son refus d'une VIe République. Il se prononçait toutefois pour de larges aménagements, en particulier pour « tirer les leçons du renforcement de la place et du rôle du président de la République par le quinquennat ». Les intentions du nouveau Président de la République ont été précisées dans le discours d’Epinal du 12 juillet dernier.
S’il a donné quelques indications sur ces intentions en matière de réforme des institutions, il a, d’une manière générale, ouvert un large débat sur la question :
«Il y a un débat sur le rôle du Premier Ministre ? Il est aussi ancien que la Ve République. Prenons ce débat à bras-le-corps au lieu de l'éluder.
Il y a un débat sur l'étendue des pouvoirs du Président de la République ? Eh bien mettons le sujet sur la table.
Il y a un débat sur le retour à un parlementarisme plus pur ? Je n'y suis pas favorable. Mais parlons-en.»
A le lire, cette réforme annoncée sera davantage un toilettage des institutions qu’un changement en profondeur de celles-ci. Mais un toilettage qui ira dans le sens d’une présidentialisation plus affirmée. Et comme on l’a vu par le passé, il suffit parfois de changer un alinéa dans un article pour modifier en profondeur la nature des institutions et la vie politique (élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962).
Une commission plus homogène qu’il semblerait
La feuille de route de la commission, communiquée en quelque sorte publiquement par le discours d’Epinal, peut aussi être lue en filigrane des membres qui la compose. C’est sans doute là le plus instructif.
Des personnalités comme Didier Mauss, Pierre Mazeaud ou Guy Carcassonne sont tout sauf des pourfendeurs de la Ve République, dont au contraire ils ne souhaitent pas que l’on touche aux grands équilibres qu’elle a mis en place.
Mais sur cette volonté d’aller vers une présidentialisation du régime, ce n’est pas un hasard de retrouver Edouard Balladur à la tête de la commission. Souvenons-nous qu’en 1999 il plaidait déjà pour cette présidentialisation, seule capable, selon lui, de mettre fin aux risques de cohabitation.
Même Jack Lang dont on pourrait imaginer qu’il apporterait au sein de la commission une vision à contre-courant, estime aujourd’hui que le fait présidentiel est incontournable. Il va même plus loin : «le président, chef unique de l'exécutif (à la fois chef de l'État et chef du gouvernement) serait responsable devant l'Assemblée nationale». Une position assez proche de celle de François Fillon qui ne serait pas opposé à une disparition pure et simple de la fonction de Premier Ministre.
On sait depuis, que ce nouveau rôle attribué au Président de la République devrait se concrétiser notamment par la faculté qu’il aurait de venir s’exprimer devant le Parlement. Une possibilité aujourd’hui interdite par le texte de la Constitution de 1958. Un changement jugé symbolique par certains, mais plus lourd de conséquences qu’on ne l’imagine. On notera que cette manière de venir s’exprimer devant le Parlement n’est pas sans présenter des ressemblances avec le discours annuel sur l’état de l’Union que prononce le Président américain devant le Congrès. Est-ce un hasard ?
On le voit, cette commission n’est pas aussi hétérogène qu’il pourrait sembler de prime abord. C’est ici d’ailleurs, il faut le souligner, qu’affleure toute la maîtrise politique d’un Président de la République installant une commission dotée d’une apparence de pluralité des opinions - c’est là au passage que se révèle à la fois l’habileté et l’inutilité de l’ouverture - alors qu’au contraire elle est d’une rare homogénéité.
C’est toute la finesse - mais nous n’avons pas écrit rouerie - de Nicolas Sarkozy d’indiquer d’un côté que même le débat sur une parlementarisation du régime est ouvert et de l’autre côté mettre en place une commission dont pas un seul de ses membres n’imaginerait une seconde aller dans cette direction.
Après tout on aurait pu imaginer une commission où les sensibilités seraient davantage représentées et où le débat aurait pu s’instaurer véritablement. Ce ne sera pas le cas. On peut penser que cette commission n’est là que pour légitimer des décisions déjà engagées en haut lieu et que le débat en son sein ne sera que très succinct puisque tous ses membres sont plus ou moins d’accords sur l’essentiel.
Fin d’une hypocrisie ou réforme en trompe l’œil
Bref, la présidentialisation du régime semble être acquise, mais peut-on l’imaginer sans aucune contrepartie?
Cette contrepartie se dessinerait sous la forme d’un «rôle accru du parlement». Une formule employée par le Premier Ministre, François Fillon, qui reste pour l’instant vague, même s’il a esquissé quelques pistes au rang desquelles on trouverait des droits renforcés pour l'opposition, une modification de la procédure parlementaire, un encadrement du pouvoir de nomination du président de la République, un réel pouvoir de contrôle des députés et le droit de pétition des citoyens pour faire examiner un texte par le Parlement.
Pour l'instant, on n’en saura pas davantage. Ce sera à la commission présidée par Edouard Balladur d’élaborer des propositions plus concrêtes.
Selon Dominique Chagnollaud, professeur de droit constitutionnel à Paris II, et membre aussi de la commission, «c'est la fin de l'hypocrisie, du système français un peu bancal. C'est surtout la logique du quinquennat, adopté en 2000 sans que l'on prenne en compte toutes ses conséquences».
Mais pour d’autres, la réforme annoncée ferait silence sur l’essentiel. Selon Marion Paoletti, Maître de conférences en science politique à l’Université Montesquieu Bordeaux IV, «pour rénover la cinquième République profondément, il est une mesure qui a pour elle la force de l’évidence et le soutien majoritaire des Français, mais sur laquelle le Président de la République est resté étonnement silencieux, durant la campagne présidentielle et lors de son discours d’Epinal : le mandat unique pour les députés».
Eric Nicolier
www.nicolier.fr
Commentaires
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