Un Dijonnais au pays des Talibans
Le vendredi 1 décembre 2006 dans L'actualité du Club - Lien permanent
La Gazette : Cinq ans après la «guerre» de 2001, vous avez réalisé un reportage sur les ratés de la traque de l’ennemi mondial n°1 Oussama Ben Laden. On pensait pourtant que tout ou presque avait été dit sur Ben Laden ?
Les médias – français essentiellement – ont un peu lâché l’affaire mais la situation a l’air plutôt compliquée en Afghanistan. Dans quel contexte avez-vous enquêté ? Un contexte de guérilla et de terrorisme. Dans le sud du pays, les combats sont d’une extrême violence. Il y a aussi les attentats kamikazes ou ceux à la voiture piégée, comme à Kaboul. En Afghanistan, la guerre est réelle dans plusieurs provinces. Les talibans sont à nouveau structurés. On parle de 15 000 combattants.
Certains experts parlent « d’irakisation » du conflit. Vous êtes d’accord avec ça ? Oui. Un général britannique a dit, lorsque nous étions là-bas, que la situation en Afghanistan était pire qu’en Irak. Il sait de quoi il parle. Les soldats anglais et canadiens paient en effet un lourd tribut face aux talibans, même s’ils remportent des succès.
Les talibans sont-ils de retour aujourd’hui ? Ou le seront-ils demain ? Il y a un risque réel de les voir reprendre le contrôle de certaines provinces du sud de l’Afghanistan. Dans de nombreux villages, ils jouissent encore d’une certaine aura dans la population. Par ailleurs, je crois qu’une partie des Afghans, très attachés à leur indépendance et à leur mode de vie, sont excédés par la présence militaire américaine. Certains ont le sentiment, à tort ou à raison, de voir une armée d’occupation chez eux.
Autre révélation surprenante. A l’issue des combats de 2001, Ben Laden aurait été prêt à négocier sa reddition pour sauver ses hommes ? Plusieurs témoins sérieux l’affirment. Il aurait passé, via un intermédiaire, un deal avec les services secrets anglais en leur proposant de se rendre si on laissait la vie sauve à ses hommes. Mais il a pu tenter une diversion afin de gagner du temps pour s’échapper. C’est en tout cas l’une des hypothèses que nous avons retenues.
Plus étonnant encore : Un soldat des forces spéciales françaises - sous couvert d’anonymat - déclare que Ben Laden était à portée de fusil. Depuis deux ans, nous avons recueilli plusieurs témoignages de soldats qui nous affirment que Ben Laden a été vu à deux reprises au moins, en 2003 et 2004. Il faut savoir qu’il y a en Afghanistan des soldats d’élite français qui font un travail exceptionnel. Ils appartiennent aux forces spéciales du COS et sont sous commandement américain. A priori, ils ne pouvaient tuer ou capturer Ben Laden sans avoir un ordre clair de la hiérarchie américaine. Un ordre qu’ils n’ont pas reçu, alors qu’ils l’avaient à quelques centaines de mètres d’eux. De fait, Ben Laden a pu s’enfuir.
J’imagine que cela ne vous a jamais été confirmé ? Plusieurs sources ont donné ou confirmé cette information. A divers endroits et à différents moments. Nous avons presque mis deux ans pour boucler cette enquête et être sûrs de ce que nous allions diffuser.
Vous êtes en train de nous dire que les Américains tirent les ficelles de ce qui n’est qu’une immense mascarade ? Les Américains sont en Afghanistan pour des raisons géostratégiques. Ils ont besoin de bases dans cette région pour leur aviation. S’ils capturent Ben Laden, les Afghans risquent de leur demander de quitter le pays, considérant qu’ils ont rempli leur mission Par ailleurs, Ben Laden jouit d’un fort capital sympathie dans les zones tribales pakistanaises et afghanes. S’il est capturé, on peut craindre un véritable bain de sang dans cette région, car les plus fondamentalistes chercheront à le venger. Les Américains en ont conscience.
Et aujourd’hui, où se cache le terroriste et qui le protège au quotidien ? Il se cache probablement dans les zones tribales, à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. Il est protégé par certains chefs de tribu. Je dis bien certains, car d’autres se passeraient assurément de cet hôte encombrant.
Pourquoi les Américains veulent-ils garder une présence sur les lieux ? Les Américains ont besoin de garder une présence militaire importante au Pakistan et en Afghanistan. Depuis ces deux pays,leurs avions ne sont qu’à quelques minutes de vol de l’Iran, l’un des principaux producteurs de pétrole au monde.
Donc clairement, personne n’a intérêt à ce que Ben Laden soit arrêté. Ni, évidemment, les talibans et donc encore moins les Américains ? C’est le sentiment que nous avons. C’est en tout cas, après des mois d’enquête, de voyages et de vérifications, la conclusion à laquelle nous arrivons avec Eric de Lavarène. Ben Laden est un prisonnier gênant. Mort, il devient un martyr pour de nombreux fondamentalistes.
On imagine que la diffusion d’un tel reportage risque de faire beaucoup de bruit et ne doit pas être du goût de tout le monde. Avez-vous subi des pressions ou en subissez-vous actuellement ? Ou peut-être des menaces ? Disons que nous avons reçu des mises en garde durant notre enquête…
Qu’espérez-vous de la diffusion de votre film ? En tant que journalistes, nous faisons notre travail pour connaître la vérité. C’est tout. En ce qui me concerne, j’attends donc que l’administration Bush dise la vérité sur cette traque. Une démocratie ne peut pas prétendre faire la guerre au terrorisme islamiste d’un côté et jouer avec le feu de l’autre. Même au nom du principe de realpolitik .
Recueillis par Roald Billebault pour La Gazette de la Côte d'Or
Hamsa Press et Ligne de Front présentent: "Ben Laden: Les ratés d'une traque" réalisé par Emmanuel Razavi et Eric de Lavarène.
Commentaires
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